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aïeux : Isabeau — tes mollets — sont pleins de sciure — Isabeau — tes mollets — de sable sont pleins. À ces modulations populaires s’embrouillent naturellement quelques bribes de la Muette de Portici ou de Madame Angot. D’une façon ou de l’autre, voilà l’excitation et l’amusement préfèrés. De saison en saison, je me sens devenir un être dans le genre de Marius, qui ne parle, ne marche, ne boit, ne mange ni ne dort qu’aux allantes mesures de l’orchestre invisible qui lui fait cortège partout.

Mais s’il n’est pas de joie plus vive, il n’en est pas de plus secrète. Le langage parlé m’avait plu en raison de tous ses parce que suspendus à tous ses pourquoi : qu’il me rendait bavard ! Au contraire, le chant, l’humble chant naturel, celui qui ne jaillit que pour faire naître son inexplicable mélange d’ébriété fugace et d’équilibre satisfait, le chant par le mystère de la douceur peut-être, me tenait farouche et muet. La voix fausse ? Parbleu ! Mais l’oreille était juste, et je ne me contentais pas de garder précieusement pour moi les airs entendus, j’enfermais mon ravissement comme s’il eût souffert d’une inavouable pudeur.

Un jour du mois de Marie que nous nous amusions sur le Cours, une petite fille, qui était mon aînée d’un an ou deux et qu’on appelait, je crois, Dorothée, Thérèse ou Élisabeth, mais, en tout cas, Tistée, nous fit une distribution de lilas en fleur et de branches vertes qui devaient venir de l’église ; nous ayant rangés sur deux files, comme à la procession, elle commanda de chanter : Je suis chrétien, c’est là ma gloire. Une à une, timidement et puis à l’unisson, les voix obéissantes d’une dizaine de petits garçons s’élevèrent. Moi, je me tus. Il me paraissait suffisant de goûter à ce doux accord et d’admirer le juste mouvement des petites robes et des petites jambes dans le pas mesuré que prit notre colonne d’enfants musiciens. Tistée s’en aperçut. Elle fondit sur moi, griffe en l’air : « — À toi ! Et toi ? Tu ne chantes