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terribles. Il arriva enfin, et l’on apercevait encore un point rouge à l’horizon. Il avait gagné…

Groucha. — Il devint un grand seigneur ?

Nicolas. — Non ! Il devint un mort. La fatigue l’avait tué. On creusa aussitôt sa tombe. C’est tout ce qu’il faut de terre à un homme.

Groucha. — Il était trop gourmand, n’est-ce pas ? Tu étais gourmand, toi, quand tu étais petit.

Nicolas. — Oui… Et plus tard aussi…

Groucha. — Longtemps ?

Nicolas. — Jusqu’au jour où ma barbe est devenue blanche.

Groucha. — Et qui t’a guéri de la gourmandise ?

Nicolas. — La vue des affamés.

Groucha. — Tu étais peut-être riche, grand-père ?

Nicolas. — Oui !

Groucha. — Tu avais trois vaches ?

Nicolas. — Plus !

Groucha. — Quoi ? Quatre vaches ?

Nicolas. — Bien plus ! Des champs, des bois, des palais…

Groucha. — Et tu n’as plus rien ? Tu as tout bu ?

Nicolas. — Je n’ai plus rien.

Groucha. — Mais tu as sans doute une famille qui est riche ?

Nicolas. — Je n’ai plus de famille.

Groucha. — Tu es un pauvre vieux tout seul ?

Nicolas. — Oui !

Groucha. — Tu as l’air si bon, cependant.

Nicolas. — Pourquoi me regardes-tu ainsi ?

Groucha. — Tu ressembles au seigneur de ce village.

Nicolas. — Vraiment ?

Groucha. — Tu es plus vieux que lui ; mais tu lui ressembles. Tu es peut-être son frère, et il ne te donne pas d’argent. Cependant il n’est pas méchant. Il nous a envoyé de l’argent pendant l’absence de papa.