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qui happait et conservait tout. Partie à quinze ans de ses montagnes du Diois, elle est venue jusqu’à la Mer de pays en pays, de condition en condition, et, en route, elle a ramassé tout ce qui se dit et se chante. Je l’ai recueilli de sa bouche. Si je connais quelque chose de ma Provence, je le dois presque tout entier à Sophie. Elle en sait plus long que tous les savants. Son répertoire est inépuisable. Quand il n’y en a plus, elle mêle et invente. J’entends encore un certain pot-pourri sur les variations de la température :

Il tombe de la neizou[1].


qui finissait par une ritournelle de ce Cantique de la Passion, descendu de l’orgue de l’église à l’orgue de la rue, qui scandait notre ronde pour le bûcher de Carnaval :

Adiéu paure, adiéu paure
Adieu, pauvre Carmentrant…

Cela m’a été bien utile, vingt ans plus tard. Sans ce vieux souvenir, quel air juste eussè-je adapté à la « complainte » de Laforgue :

Tu t’en vas et tu nous laisses
Tu nous quittes et tu t’en vas ?

Une fille plus jeune nous gardait dans les mois d’été. Comme elle était issue d’un républicain forcené, victime du Deux-décembre, je ne tardai point à connaître quelques-uns des couplets qui couraient le pays depuis la Guerre et la Commune :

Bismarck, si tu continues

et surtout les chants politiques inspirés de la résistance à l’ordre moral :

  1. L’accent de neizou doit être mis sur la première syllabe : ou est atone.