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Le Menuisier. — Bah ! c’est votre sort ici-bas ! Ne vous en plaignez pas ! Remerciez plutôt Dieu qui vous a donné la fortune.

Nicolas. — Es-tu sûr que ce soit Dieu ? Ne le rends pas responsable de l’injustice. Ce sont les hommes qui se sont approprié les biens de leurs frères.

Le Menuisier. — Possible ! Mais si j’étais à votre place, je ne chercherais pas si loin. Je me donnerais du bon temps. Vous n’êtes pas bien ici ?

Nicolas. — Je comprends… Ça te paraît bizarre que j’habite une maison où il y a le superflu, et que je veuille travailler pour avoir le nécessaire.

Le Menuisier. — Mais non, c’est une fantaisie… Vous êtes assez riche pour vous la passer… Et puis, aujourd’hui, les maîtres veulent tout connaître. Allez ! Un coup de rabot, maintenant !

Nicolas. — Autrefois je n’avais pas honte, moi non plus… je trouvais naturel de vivre ainsi… Mais j’ai entendu la parole du Christ… Il a dit que nous sommes tous frères.

Le Menuisier. — Il y a, dans les familles, des frères riches et des frères pauvres.

Nicolas. — Il ne faudrait pas.

Le Menuisier. — Si ça vous fait tant souffrir, il y a un remède facile : distribuez votre bien.

Nicolas. — J’ai voulu le faire. Je n’ai pas eu le courage.

Le Menuisier. — Ah ! voilà !

Nicolas. — Il y a la femme, les enfants…

Le Menuisier. — Je sais ce que c’est : la mienne m’oblige à aller à l’office… La vôtre vous a forcé à garder votre argent. C’est moins dur.

Le Menuisier. — Je n’ai plus rien. Je lui ai fait une donation de tous mes biens. Je suis plus pauvre que toi.

Le Menuisier. — Oui… oui…

Nicolas. — Tu ne me crois pas ?

Le Menuisier. — Si ! Mais enfin, on ne vous laisse manquer de rien.