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nous touche davantage, et chasse le mieux notre ennui. J’ai eu ces pensées en passant près de vous et je vous le dis. Songez donc ! peut-on vivre ainsi. (Il se lève agité.)

Luba. — C’est vrai, c’est bien vrai.

Lise. — Si l’on pense ainsi, on ne peut plus vivre.

Stepa. — Je ne vois pas pourquoi on ne parlerait pas de Schumann parce que le peuple est pauvre. L’un n’exclut pas l’autre.

Nicolas, avec colère. — Si quelqu’un n’a pas de cœur, si quelqu’un est de bois…

Stepa. — Il vaut mieux que je me taise.

Luba. — La question est terrible, c’est la question de notre temps ; il ne faut pas la craindre, mais il faut regarder la réalité en face, pour trouver une solution.

Nicolas. — Chacun de nous peut mourir aujourd’hui, demain ; comment vivre sans souffrir de cette injustice ?

Boris. — Il n’y a qu’un moyen : c’est de n’y prendre aucune part.

Nicolas. — Allons, pardonnez-moi si je vous ai offensés. Il m’était impossible de ne pas dire ce que je ressens. (Il sort.)

Stepa. — Ne pas prendre part à l’injustice ? Tu vas bien, Boris. Toute notre existence en dépend, voyons.

Boris. — C’est précisément ce qu’il dit, aussi il faut avant tout ne rien posséder, changer toute sa vie, vivre non pour être servi, mais pour servir.

Tania. — Allons, je vois que tu as tout à fait adopté les idées de Nicolas Ivanovitch.

Boris. — J’essaie de comprendre… je viens de le comprendre pour la première fois… Et puis d’ailleurs, ce que j’ai vu au village… Il n’y a qu’à enlever ces lunettes à travers lesquelles nous regardons la vie du peuple. Nous verrons clairement le rapport de leurs souffrances avec nos joies. Voilà tout.

(Tania passe de nouveau dans le salon et joue au piano un nocturne.)