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(Elle passe dans le salon attenant à la véranda, et joue.)

Nicolas, entrant. — Où est votre mère ?

Luba. — Je crois qu’elle est dans le parc. Hein, papa ? Tania joue admirablement ! Et toi, où étais-tu ?

Nicolas. — Au village !

Stepa, appelant le domestique qui entre. — Apporte un autre samovar.

Nicolas, donnant une poignée de main au domestique. — Bonjour !

(Le domestique sort, confus. Nicolas Ivanovitch sort aussi.)

Stepa. — Malheureux Athanase ! Il est profondément troublé. Il n’y comprend goutte ! Il lui semble que nous devons nous être rendus coupables de quelque chose.

Nicolas, revenant dans la salle. — J’allais chez moi et je n’avais pas songé à vous dire ce que je pense. Je crois que j’ai eu tort. (À Tania.) Pardonnez-moi si ce que je dis vous offense, mais je ne puis m’empêcher de le dire. Tu disais, Luba, que Tania joue très bien. Vous voilà ici, cinq jeunes hommes et jeunes femmes bien portants ; vous avez dormi jusqu’à dix heures, vous avez bu et mangé, vous croquez encore des bonbons, et vous jouez et vous causez de musique, tandis qu’au village d’où j’arrive à l’instant, on s’est levé à trois heures du matin : certains n’ont même pas dormi la nuit. Des vieux, des malades, des faibles, des enfants, des femmes enceintes travaillent tous de toutes leurs forces, afin que nous vivions ici de leur labeur. Bien plus, hier, l’un d’eux, le dernier, l’unique travailleur de la famille a été mis en prison, parce que, ce printemps, il a coupé dans le bois, qui est soi-disant à moi, un des cent mille sapins qui y poussent. Nous sommes ici bien lavés, bien vêtus, ayant laissé dans nos chambres nos malpropretés aux soins de nos esclaves, nous mangeons, nous buvons, nous discourons sur Schumann et Chopin, afin de décider lequel