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Boris, entrant. — Ne pourrais-je vous être utile ?

Nicolas. — Ici, il n’y a pas moyen d’être utile aux autres. Le mal est trop enraciné. On ne peut être utile qu’à soi-même, en voyant sur quoi nous édifions notre bonheur. Voilà une famille : cinq enfants, la femme enceinte et le père malade ; il n’y a rien à manger que des pommes de terre ; et en ce même moment se décide cette question : va-t-on avoir à manger l’année prochaine ou non ? Il est impossible de leur venir en aide. Je vais leur donner un ouvrier. Mais qui sera cet ouvrier ? Un malheureux pareil à celui-là, qui abandonne sa propre culture par ivrognerie, par misère.

Boris. — Pardonnez-moi. Mais, alors, que venez-vous faire ici ?

Nicolas. — Je viens reconnaître ma propre situation : apprendre qui jardine pour moi, qui construit ma maison, qui fait mes vêtements, qui me nourrit, qui m’habille.

(Des paysans viennent avec leurs faux, des paysannes avec des rateaux. Tous saluent.)

Nicolas, s’adressant à l’un des paysans. — Voyons, Ephraïm, ne voudrais-tu pas te louer pour faucher chez eux ?

Ephraïm, secouant la tête. — Je le voudrais de tout mon cœur, mais je ne puis pas ; le mien n’est pas charrié. Nous nous pressons de le faire. Mais est-ce qu’Ivan va mourir ?

Un autre Paysan. — Peut-être le vieux Sébastien voudrait-il s’en charger ? Eh ! grand-père ! On veut louer pour faucher.

Sébastien. — Loue-toi si tu veux. La journée d’aujourd’hui nourrit toute l’année

Nicolas. — Ils sont tous à moitié affamés, nourris de pain arrosé d’eau, malades, souvent vieux. Tiens, ce vieux là-bas, il a une hernie qui le fait souffrir ; il travaille depuis quatre heures du matin jusqu’à dix heures du soir, et il respire à peine. Mais nous ! peut-on enfin, ayant compris cela, vivre tran-