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Quand nous fûmes dans l’escalier, j’interrogeai une des dames sur cette femme aux évangiles qui était restée dans l’appartement de Raspoutine.

— C’est la célèbre générale L…, ex-admiratrice d’Iliodore. Maintenant, elle honore le père comme un saint. C’est une femme d’une vie impeccable ; elle vit dans l’ascétisme. Elle dort sur des planches nues, avec une bûche sous la tête. Ses amies ont supplié le père de lui envoyer son oreiller, pour qu’elle ne se torturât pas ainsi. Elle a consenti à dormir sur cet oreiller. C’est une sainte femme. »

Il me semblait que je m’échappais d’une maison d’aliénés. Je ne comprends plus rien, la tête me tourne. J’ai pris la ferme résolution de partir, bien que mon affaire n’ait pas avancé d’un pas.

20 septembre.

Ce matin, il m’a de nouveau téléphoné pour me prier de venir le voir. Mais je lui ai annoncé que l’on me rappelait par dépêche à Moscou, et que je devais partir.

— Mais ton affaire, ma chérie ; tu sais, rien ne se fera sans toi.

Je résolus d’aller prendre congé de lui et de parler de cette affaire. J’y trouvai, en costume d’infirmière, la princesse Ch…, femme d’une rare beauté qui avait de superbes yeux sombres. Il mangeait du poisson, tandis qu’elle lui épluchait une pomme de terre de ses longs doigts effilés aux ongles nacrés comme des perles. Jamais je ne vis de mains d’une forme aussi parfaite, si ce n’est dans les tableaux des vieux maîtres italiens. Elle lui tendit la pomme de terre, et il la prit distraitement, sans la regarder ni la remercier. Elle lui baisait l’épaule et les mains gluantes avec lesquelles il mangeait du poisson. J’avais beaucoup entendu parler de la princesse Ch… qui avait