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sortie grossière que nous avions perdu l’usage de la parole. Nous restions là, sans aucun sens, et nous le regardions. Et lui pendant ce temps-là appelait quelqu’un au téléphone, et disait d’une voix haletante et nerveuse :

— Ma chérie, tu es libre en ce moment ? Oui. Je viens chez toi. Tu es contente ? Attends, j’arrive de suite.

Il raccrocha l’appareil et jeta sur nous un regard de triomphe.

— Je n’ai pas besoin des Moscovites, je n’en ai pas besoin. Les dames de Piter valent mieux que vous, femmes de Moscou.

La honte et la colère m’étouffaient. Je gagnai d’un bond l’antichambre, et malgré tous mes efforts je ne pus retenir mes larmes. Ayant jeté sur mes épaules ma chouba, sans enfiler les manches, je me disais : « Jamais je ne mettrai plus les pieds chez ce moujik grossier. Rien ne me contraindra d’aller chez lui. »

Nous nous précipitâmes hors de son appartement. Il nous criait encore quelque chose à la cantonade, mais je n’ai pas compris. Émues et tout en larmes nous racontâmes à M. Ch. la pénible scène que nous venions de subir à cause de lui. Maria Arkadievna était au désespoir. Elle avait grand besoin de Raspoutine, car elle faisait des démarches pour une affaire très importante. Mais moi je ne pouvais plus penser à mon affaire, je ne pouvais supporter l’idée de l’offense qu’il m’avait faite.

18 septembre.

Quel ne fut pas mon étonnement quand le lendemain matin j’entendis la voix radoucie de Raspoutine : « Ma chérie, ne te fâche pas contre moi à cause d’hier, j’étais très offensé. Je croyais que tu étais venue me trouver et que tu avais