Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amertume de la mort, à trouver quelque justice dans un repos dédaigneux des hommes et de la malchance.

Comme il allait sauter dans un raccourci tout raviné, l’altière stature de Fresnois apparut devant lui, il ne put s’empêcher de crier :

— Justin !

Et aussitôt pour couvrir ce son d’angoisse :

— Vous, mon ami ! Comment pouvez-vous être là ?

— Où allez-vous, Daniel ? fit le peintre très bas : et ses yeux le regardaient avec une tentatrice, une miraculeuse douceur.

La seule vue de Fresnois, qui jugeait tout autrement que lui, le redressa dans la logique de sa propre personnalité :

— Je ne sais pas, je ne sais pas ! répondit-il d’une voix impérieuse ; je reviendrai bientôt. Je ne sais plus rien de moi, j’ai besoin d’être seul avec moi-même !

— Vous ne savez pas où vous allez… reprit son ami plus gravement… Avez vous bien réfléchi ?

Il comprit.

Le silence fut court, et énergique :

— Oui.

Ils s’embrassèrent.

Daniel, plus vite, se précipita sur la pente. Il avait de la peine à ne pas se retourner vers le visage navré de Justin. Sa force était ailleurs : au milieu même de sa rancœur et de son épuisement un élan de dévouement à autrui le détournait, pensait-il, de l’idée du suicide — où aboutit l’élan extrême de l’égoïsme : Daniel Vernalle éprouvait depuis trop longtemps le besoin de se consacrer à la joie d’un être pour y renoncer au premier malheur qui lui en tranchait une possibilité ! Une religion de l’avenir, un espoir mystique en un bonheur finissant par résulter fatale-