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Ce mois de juillet, Daniel Vernalle avait des raisons fortes de désirer plus vivement se retrouver à la campagne pour goûter des journées de joie qui renouvelle aussi profondément : ces deux dernières années il avait évité tout amour avec obstination, s’éloignant du monde, ne voulant trouver de pathétique que dans l’étude continue.

De plus, au lieu de s’installer dans un logis et un site de rencontre, le peintre venait de choisir, après plusieurs semaines de recherche, en Auvergne, un lieu plus beau, disait-il, que tous ceux qu’il avait admirés en Italie, où il passait les hivers. Quelle sorte de paysage pouvait-il tant admirer ? Il bafouait toujours les molles plaines françaises presque autant que les montagnes romanesques de la Suisse. Il se montrait extrême dans son goût jusqu’à une singularité qui souvent vous éblouissait tendrement, parfois vous heurtait. Il méprisait tout ce qui est reconnu, au point de s’être associé à des médiocres, lui, orgueilleux et aristocrate, par révolte contre les groupements académiques : il faisait partie de ce Syndicat de peintres qui s’intitulent eux-mêmes Indépendants et qui le sont certes plus dans la conduite de leur vie que dans leur technique. Ne rencontrant jamais rien qui l’intéressât dans les deux Salons officiels, il se plaisait sincèrement au leur : pour leur naïve rutilance, l’éclat de leur désordre, leurs audaces, leur ingénuité. Il avait horreur de toute science, parce qu’elle finit par dessécher le sentiment, jusqu’à s’attendrir devant les dessins d’enfant alors qu’il méprisait ceux des maîtres de l’École : « Ce n’est rien ! » en disait-il sur ce ton d’élégance un peu raide qui au vulgaire paraissait de l’affectation, d’autant qu’il s’exprimait avec choix jusque dans sa conversation.