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nuentparmi les terres à demi submergées et rouvertes d’une végétation touffue perpétuellement verdoyante. L’endroit est fort beau et digne de servir de cadre à un poème.

Le malheur est qu’il ne s’y est jamais rien passé de remarquable.

Beaucoup de riches habitants de Buenos-Ayres, principalement ceux qui appartiennent à de vieilles familles, ont une maison de plaisance près du Tigre et doña Zoila avait jugé ne pouvoir se passer d’un édifice de ce genre, qui servît de complément au luxueux hôtel voisin du parc de Palermo. Je crois devoir vous dire, en passant, que ces deux nobles demeures étaient hypothéquées.

Le docteur passait ses soirées dans sa famille et accompagnait ses filles lorsqu’elles allaient danser au casino du Tigre. Le matin, il prenait le train pour Buenos-Ayres, s’occupait de ses affaires et revenait à la nuit. Ce fut pendant un de ces voyages de retour qu’il tomba sur la voie en voulant passer d’un wagon dans un autre. Nul ne put s’expliquer clairement comment se produisit cet événement, qui provoqua dans la ville une si grande émotion. Ce qui est certain, c’est qu’on trouva entre les rails le cadavre déchiqueté du docteur.

Les journaux consacrèrent de longs articles à l’accident et ne ménagèrent pas à la compagnie de chemin de fer leurs critiques sur le mauvais état de son matériel. Il faisait nuit noire et l’obscurité avait été sans doute la principale cause de ce malheur, mais la compagnie, dont les wagons étaient trop vieux, avait une part de responsabilité. Les passerelles qui réunissaient les voitures étaient défectueuses ; les portillons s’ouvraient seuls. Il était évident que le docteur Pedraza, constamment préoccupé par ses affaires, avait été la victime de ces imperfections, alors