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cols de cygne d’où elle écoutait la plainte ossianique d’une harpe ou les madrigaux que lui adressait son ami Chateaubriand.

Aujourd’hui, une femme réputée élégante se croit deshonorée si sa robe vaut moins de mille francs. Le plus souvent elle en vaut deux mille. De même pour les chapeaux, les bottines, etc. Et la pauvre Récamier ferait bien rire nos amies si elle prétendait les éblouir en changeant de robe chaque jour. Une robe par jour ! Quelle misère, quelle antiquité ! Une femme chic observe aujourd’hui le rite de changer de robe au moins trois fois par jour ; elle doit mourir plutôt que d’encourir la honte d’être vue deux jours de suite dans la même toilette.

Ces courtisanes, ces comédiennes fastueuses comme la Reine de Saba et dévoratrices de millions que nous ont présentées à tous le théâtre et les livres qui décrivent la vie parisienne du demi-siècle dernier, elles ne sont plus aujourd’hui que des personnages fantaisistes de comédie ou de roman ; elles n’existent plus que dans l’imagination des naïfs. Allez trouver les joailliers de la place Vendôme, les couturiers de la rue de la Paix, tous les fournisseurs du luxe féminin ; parlez-leur des « artistes » de mœurs légères et des demi-mondaines célèbres qui sont sans doute leurs meilleures clientes ; vous les verrez faire la moue.

— Ah ! Monsieur, c’était bon autrefois ! Aujourd’hui les personnes de cette catégorie ne font plus notre affaire ; elles ne savent que s’endetter. Elles n’ont plus de grands-ducs russes pour les protéger. Il ne vient plus de là-bas que des agents bolchevistes qui apportent quelques millions pour la propagande rouge et qui les dépensent avec de vieilles danseuses qu’ils ont admirées dans leur jeunesse de bohèmes faméliques. Mais il y en a si peu qu’on ne saurait en