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« Le pauvre homme a été ruiné par sa femme et par ses filles. »

Et cela s’explique logiquement. À notre époque, mes chers amis, la femme coûte plus cher que jamais. Quelle dure entreprise que d’alimenter le luxe d’une dame « bien ! » La magnificence qui entourait certaines beautés célèbres entrées dans l’histoire a de quoi nous faire rire. Le luxe d’antan était éblouissant, certes, mais la préférence allait aux bijoux, c’est-à-dire à des objets durables qui représentaient un capital mis en réserve. L’homme qui faisait de riches cadeaux à sa femme déposait en réalité dans le coffre-fort de sa maison une somme d’argent pour l’avenir. Ce qui est terrible c’est le luxe d’aujourd’hui : tissus, dentelles, fourrures et plumes ; toutes choses qui durent un ou deux mois, un ou deux ans tout au plus, qui se fanent vite et qu’on admire quelques jours seulement, car il leur manque cette fascination solide, immuable, éternelle qu’ont les pierres précieuses.

Vous avez entendu parler de Mme Récamier. Il y a un siècle, tout Paris était à ses pieds. C’était la femme la plus élégante de son époque. Les guerriers de Napoléon, les apôtres du romantisme naissant, les hommes à la mode étaient tenus d’assister chaque soir à ses réunions, où ils recevaient en quelque sorte leur consécration. La divine Juliette mettait chaque jour une robe nouvelle ; elle la portait quelques heures, puis l’abandonnait à sa femme de chambre. Trois cent soixante-cinq robes par an !

Mais des contemporains indiscrets nous ont révélé que chacune d’elles valait à peine trois francs cinquante. C’étaient de blanches tuniques de lin ou de batiste sur lesquelles la divine Récamier ajustait une ceinture de soie bleu-ciel ; sa beauté blonde n’avait pas besoin d’autre parure pour s’étendre sur le divan aux