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— Alors, toute l’Angleterre avec vous !…

— Hélas ! Ashton… il est bien vrai !… Mais croyez-vous que toute l’Angleterre, si elle était ici, ne tremblerait pas comme je tremble ?…

— Elle a des excuses : l’Irlande, mylord, avait trahi l’Angleterre, dans la récente guerre contre les Allemands…

— Trahi, Ashton ? Dieu vous pardonne ce mensonge, le pire des mensonges anglais ! On ne peut trahir que son propre parti. Et le parti de l’Irlande n’était pas, ne pouvait pas être le parti de l’Angleterre… Il n’y eut qu’un peuple traître lors de la guerre que vous dites : le peuple grec, qui commença par trahir le peuple serbe, son allié, et finit par trahir le peuple français, son bienfaiteur… Et, certes, je suis une bien basse créature, Reggie ! mais, tout de même, j’aimerais mieux être quatre fois plus vil que je ne suis, plutôt que d’être Grec…

— Mylord, mylord ! qui songerait, même parmi les Sinn-Feiners, à flétrir d’un tel nom Votre Seigneurie ?

— Personne, il est vrai ! pas un seul d’entre eux… Et je n’en suis que plus honteux : car l’éponge irlandaise, ainsi, fut, envers moi, équitable !… envers moi, Reggie ! envers moi qui l’ai tant pressée, tant exprimée…

— Bah ! — fit Ashton, cavalier : — le moyen, mylord, de presser moins fort une si pauvre éponge ?

— Une si pauvre éponge, Reggie ? Par Jupiter, vous parlez sans savoir, et c’est le contraire que vous devriez dire, vieux cher garçon ! Une riche, une très riche éponge, oui ! voilà ce qu’était l’éponge irlandaise, avant que les landlords tels que moi l’eussent épuisée, desséchée, écrasée !… Ô Ashton, tel est mon pire remords, à cette heure… Car le Seigneur me pardonnera ou ne me pardonnera pas, que sais-je ?