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de plus. D’autres gens nous doivent occuper, et rien qu’eux ; à savoir les gens qui sont ici : vous, nous, moi !

Il se tut. Et lord Nettlewood, tout consterné, demeurait coi.

Une immense minute se traîna. M. de la Cadière, homme de bonne compagnie, respectait la visible désolation de son hôte. Ce néanmoins, il reprit, après le temps qu’exigeait la décence, et il reprit fort allègrement :

— Mylord, je vous conjure de tout prendre au tragique… si le repos de votre conscience est à ce prix… mais je vous conjure aussi de ne rien prendre au sérieux. Question d’honneur, d’abord ! Mettons les choses au mieux, ou au pis, si vous préférez : mettons qu’il s’agisse, pour vous, pour nous, pour moi, de mourir de faim, sans aléa, voire, sans délai… Eh bien ! si la chose est obligatoire, sachons l’accepter élégamment. Voici Mme la marquise d’Aiguillon, notre bonne fée, notre gracieuse marraine à tous, qui sera, j’en suis sûr, la première, — ses paroles de tantôt m’en sont garant, — à nous montrer le chemin d’un trépas correct, orgueilleux, dédaigneux… digne, si j’ose dire, de vous, de nous, de moi. Mylord, vous, nous, moi, sommes fils ou filles de gens honorables, et qui surent en leur temps se faire tuer honorablement dès qu’il a fallu, et tant qu’il a fallu. Noblesse oblige ! Faisons comme nos ancêtres ont fait… D’autant que, si notre aventure n’est au contraire qu’une plaisanterie, qu’une manière de farce machinée à notre intention par le doux seigneur Pluton, ou par la bonne dame Proserpine, alors il sied de nous garder à trèfle, et de ne pas tomber dans le panneau. Quelle honte, mylord, s’il nous fallait, demain, vivants et continuant de vivre, nous souvenir de n’avoir pas été, aujourd’hui,