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d’un irrésistible pouvoir qui s’exaltait en elle en cherchant un but ; parfois, éprouvant l’impression d’un vide étrange, d’une sorte d’écroulement atroce et délicieux en même temps, Myrrhine n’avait pas échappé à ces émotions incomparables. Comme tous elle y avait ressenti, après des instants d’ardeur brûlante, l’angoisse effrénée, dans une passivité comblée, déchirante, d’un désir et d’une possession. Mais alors que ses compagnons rapportaient cette attente à une influence divine, cherchaient leur bonheur dans une présence immanente et céleste, son cœur terrestre n’évoquait que des joies terrestres, pour elle devenues inaccessibles.

— Il ne sera plus, jamais plus ! disait-elle à Aristodème. Plus jamais je ne serai sienne, ses bras dans mes bras, son corps dans mon corps. Et j’avais tant de choses à lui demander, tant de choses ! Je n’ai pas eu le temps, je ne saurai jamais, c’est fini : les choses qu’il avait vues, qu’il avait faites, les hommes qu’il a connus, les femmes qu’il a aimées ; le monde, le monde entier à travers ses yeux, son esprit, ses sens, quelle sublime merveille ! Il n’est plus, le monde est mort avec lui, et je ne suis plus rien…

C’était avec la sensation affreuse de rester sans force, anéantie, le déchaînement et le regret de souvenirs magnifiques dont tout son corps brillait, alors que ses yeux versaient des larmes. Un immense amour, un désir vorace — et le vide.

La nuit était tombée. Des chrétiens dormaient sous les colonnes de bois. D’autres priaient, réunis, ou écoutaient l’un d’eux rappeler les supplices et le courage des anciens martyrs, déjà transfigurés par la légende. Quand il se taisait, on pouvait percevoir, dans le silence revenu, l’espèce de palpitation qui frémit, même dans leur sommeil, au cœur des grandes villes. Aristodème était étendu aux côtés de Myrrhine, au