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qu’elles étaient là de même que je mettais pour Lui, quand Il allait venir, à mes joues un peu de fard, un bijou dans ma chevelure. Parfois le golfe était tout bleu, d’un bleu téméraire, ardent, avec des étincelles sur les vagues. Parfois c’était un azur languide, sans un frisson, sans une lueur, comme ennuyé, dédaigneux… Cela faisait songer à une femme, une femme trop aimée, qui a eu trop d’amour, trop d’hommages, et s’est lassée de tout, même de sa beauté. Alors je songeais : « Je ne serai jamais cette femme-là ! Je ne serai jamais lasse qu’il m’aime, ni assez belle. Il est venu, je l’ai aimé, et une pensée subite, et le bleu de la mer, et le ciel sur les vagues, et l’odeur du varech exhalée par le vent — tout dans cet univers me rappelle et m’annonce ce que j’éprouverai tout à l’heure, dans les divins moments qu’il me possédera.

« Il va venir ! Il va venir encore. Toute autre chose est impossible. Qu’il vienne à moi cette nuit, son corps contre le mien. Et descends avec lui, ô Désir, pourpre vin de la vie, coule à travers mes veines ! Prends-moi, roule-moi, jette-moi au maître : que je ne sois plus rien que Lui, Lui seul, écroulée dans ses bras !

Pourtant elle avait le respect de l’homme, quel qu’il fût. Toute sa vie elle avait été nourrie dans la soumission à sa voix et à ses volontés. Onésime, sans impatience, la laissait crier et pleurer. Il repartait ensuite avec une douceur toujours égale, puis, dès qu’elle paraissait tendre l’oreille, une ardeur qui peu à peu se changeait en violence. Il lui disait alors :

— Jusqu’à cette heure tu t’es méprise sur toi-même. Même ton désespoir le prouve. Et tu es appelée à un autre esclavage, à la servitude d’un amour divin, qui ne passera plus. Tout ce que tu as connu n’est rien. Tout ainsi que l’ombre d’un homme sur une muraille n’est que l’image incon-