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liberté fort cher. Mais je ne m’en soucie pas autrement. Celui qui cherche à gagner doit savoir également se résigner à perdre. Je sortirai d’ici à la condition d’y mettre le prix, quand je le voudrai, exactement comme ce misérable Rhétikos.

— Rhétikos ?…

— Il ne s’est laissé emprisonner, en proclamant sa conversion, que pour se faire nourrir, profiter des dons que les chrétiens riches font à ceux de leurs frères qui sont dans le besoin. Il abjurera, soyez-en sûr, quand il en aura assez. J’étais assez intelligent pour l’avoir compris. Il ne m’a pas cru assez bête pour me le vouloir cacher.

Du reste, le juif ne dissimulait pas son scepticisme à l’égard des espérances des chrétiens.

— S’ils obtiennent la victoire, cela ne leur servira de rien, car ils sont fous. Ils prétendent convertir la terre entière à leurs rites, à leurs magies, à leur religion. Pensez-vous que des hommes d’origine différente pourront avoir la même idée des choses ? Nous autres, les juifs, nous resterons à part, et unis. Nul ne pénétrera parmi nous ; nous serons les seuls élus, nous confondrons l’idée de peuple et celle de religion. Ainsi nous resterons la seule race pure et forte ; il faudra bien alors qu’un jour nous dominions toutes les autres. Mais cela est encore bien loin, nous ne le verrons pas. Un homme tel que moi ne se doit occuper que de ce que, durant sa propre existence, le sort lui peut accorder, en s’efforçant que ce sort soit agréable.

Il invitait alors Cléophon à se rapprocher avec lui de Myrrhine, dont il jugeait la figure charmante, la douleur consolable ; et son expérience lui suggérait qu’elle accepterait plus aisément, d’abord, les hommages courtois de deux hommes ensemble se présentant à elle, que d’un seul,