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accompli le seul acte de son existence qui valût la peine qu’on se dérangeât ; il s’en émerveillait, en éprouvait un plaisir singulier, d’un genre nouveau, qu’il ne cessait de savourer. Du reste, contrairement à Myrrhine, il aimait se mêler aux chrétiens, écoutait avec curiosité Onésime, et ne s’étonnait point que celui-ci, reconnaissant qu’il eût été, à l’égard d’Eutychia, l’agent du miracle espéré, le traitât avec considération, vît en lui un futur adepte, qu’un rayon d’en haut illuminait déjà. Tout lui paraissait joyeux et simple. Il ne s’était jamais senti plus pleinement heureux. Pour l’instant, les chrétiens l’amusaient. À mesure que les semaines coulèrent, la conviction qu’on n’osait point les juger, que le jour de la victoire était proche, s’enracinait en eux, si forte qu’ils disputaient déjà sur l’exploitation de cette victoire. Fiers d’avoir tenu contre la persécution, ils méprisaient les apostats : « Nous les bannirons à jamais de l’Église, disaient-ils, nous leur fermerons les portes du ciel. »

Et d’autres répondaient :

— Non seulement à eux ! Mais à tous les voluptueux, à tous les adultères, aux fornicateurs, à ceux qui ont convolé en secondes noces ! » Un jeune homme, tout pâle, s’approcha un jour de Cléophon, qui souriait :

— Je te connais, dit-il, je connais tes mœurs. Tu n’es pas indigne du bonheur éternel. Le mal n’est pas dans le plaisir, il est dans la génération. Anathème au mariage, ce refuge des faibles et des lâches ! Anathème aussi à ceux qui, hors du mariage, se livrent à l’amour, naturellement, comme font les bêtes, puisqu’ils peuvent ainsi procréer. Puisque le monde doit finir, puisque le Seigneur va revenir dans sa gloire pour juger les vivants, qu’il ne trouve debout que des hommes et des femmes, non pas de misérables enfants encore sans intelligence de sa nature éter-