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Comme les prisonniers étaient trop nombreux pour que les ergastules ordinaires de la ville pussent les contenir, on avait transformé en geôle, à leur intention, un des anciens téménoï qui entouraient le temple d’Aphrodite, sur l’Acro-Corinthe. Ils y menaient une existence à la fois étrangement libre, pour peu qu’on la veuille comparer à celle des prévenus ou des condamnés de nos contemporaines maisons de force, et très misérable, dont seuls peuvent se rendre compte ceux qui, de nos jours, savent ce que c’est qu’une prison turque. Ils s’assemblaient à leur guise dans l’enceinte assez vaste où ils étaient parqués, dormant la nuit sous les portiques de bois, y choisissant une place à leur convenance ; et il existait même, à l’une des extrémités de ce téménos, des chambres qu’ils partageaient avec la police. Mais l’administration impériale ne s’occupait point de leur nourriture. Ceux qui connaissaient un métier fabriquaient de menus objets, que leurs gardiens se chargeaient de vendre en percevant une redevance. Les autres étaient entretenus par la charité publique, et il se trouvait encore à Corinthe assez de chrétiens en liberté pour qu’ils ne fussent point affamés ; d’autres aussi avaient des parents, demeurés païens, qui pouvaient ouvertement subvenir à leurs besoins.

Ils avaient pensé que leur procès se poursuivrait régulièrement. Mais le lendemain, ni les semaines suivantes, nul d’entre eux ne fut conduit au tribunal. Pérégrinus avait été repris de ses hésitations. Il avait envoyé à l’auguste Galère un rapport adroit, où, mettant en valeur les