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— Oui, c’est un mauvais juge ! cria Théoctène. Il ne faut plus qu’il juge !

Escaladant le péristyle, empoignant le gouverneur aux épaules, il le jeta debout, et, d’un coup de poing, l’envoya rouler au bas des degrés.

Tel était le discrédit dans lequel étaient tombés les fonctionnaires romains dans le pays de langue hellène, que dans la ville d’Alexandrie, à la même époque et dans une occasion pareille, un certain Ædésios, de bonne famille et de caractère habituellement paisible, sauta à la gorge du gouverneur Hiéroclès, lui donna deux grands soufflets, et, le jetant à terre, lui piétina le ventre. Comme dans Alexandrie, l’émeute, pour la seconde fois en quelques heures, se déchaîna sur Corinthe. Ces hommes sans armes recommencèrent de s’assommer, à coups de pierres et de bâtons. Plusieurs chrétiens profitèrent du désordre pour s’échapper. La police ne put capturer l’évêque Onésime qu’aux portes de Cenchrées. Encore ne le reconnut-elle que par hasard : elle avait cru en arrêter un autre.

Pour Théoctène, il avait été l’un des premiers à tomber dans cette échauffourée, sans trouver de défenseurs. Le traitement qu’il avait infligé à Pérégrinus le rendait passible du châtiment suprême. D’autre part les chrétiens l’abandonnèrent à son sort : il n’était point des leurs. Ainsi qu’à toutes les époques de désordre et d’indifférence politique, où il n’y a que des émeutes et nul mouvement national ou populaire de caractère général, l’armée demeurait le seul organisme fort et discipliné. Elle seule savait toujours ce qu’elle avait à faire, et la besogne ici était simple. Tandis qu’une partie de la cohorte germaine entourait le gouverneur et le reconduisait au palais, l’autre, sous le commandement de quelques centurions vigoureux, réduisait les mutins sans égard pour le sang qu’il fallait ver-