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mait la Punaise, parce que sa poitrine n’avait pas encore poussé… (elle s’en vengeait en le nommant, lui, le Pou ; et ils étaient d’ailleurs le plus amusant ménage, fort épris, — tout le monde le jurait, — mais en querelle éternelle ; et n’ayant pas, à eux deux, quarante ans additionnés). Enfin, bonnes dernières, Mrs Ashton, qui s’appelait Grace, et méritait son nom, vint au bras de Mme Francheville, qui s’appelait Germaine, mais qui eût dû s’appeler Beauté. Ces deux dames, différemment mais également séduisantes, constituaient la principale gloire du yacht et le principal orgueil de lord Nettlewood. Et, rivales d’esprit, de charme et de jeunesse épanouie, — trente ans chacune, de l’aveu de toutes leurs amies, — elles l’étaient encore, chuchotait la chronique, de plus d’une autre façon. Il n’empêchait que, irréprochablement élevées toutes deux, elles attrapaient au vol, en toutes circonstances, avec une adresse et un à-propos exquis, les occasions de se prodiguer l’une à l’autre prévenances, attentions, gentillesses et sourires, — comme faisaient au temps jadis les chevaliers des tournois, luttant toujours à armes courtoises, — luttant tout de même, d’ailleurs, et luttant sans pitié… C’était d’ailleurs le plus charmant spectacle, que voir ainsi, côte à côte, la toute belle Germaine Francheville, qui était brune, alerte et fine, et la toute gracieuse Grace Ashton, qui était blonde, langoureuse et délicate…

C’était aussi le plus charmant spectacle que contempler, par delà la rambarde de chêne poli, par delà les profondes lames qui s’enroulaient, paisibles, sur la mer lisse, la fière falaise de l’île au Grand Pic et au Grand Puits, d’instant en instant plus proche… Au-dessus de l’eau bleue, frangée d’écume blanche, surgissait une formidable muraille fauve, hérissée d’étranges blocs noirs.