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la mémoire de ces vierges, le culte de vénération qu’on leur vouait, faisait de plus qu’ils ne pouvaient supporter de croire qu’elles eussent été souillées. On imagina donc que, par un étrange miracle, les hommes qui tentaient de profiter de leur condamnation pour les approcher se trouvaient subitement frappés de terreur, perdaient leur virilité. En fait, les pasteurs de l’Église considéraient seulement, avec juste raison, qu’un acte où la volonté n’est pour rien est inexistant. Peut-être, dans son scepticisme d’homme du monde et d’homme mûr, Pérégrinus partageait-il cette opinion ; et il préférait livrer pour quelques heures une jeune fille à des violences qui ne laisseraient point de traces affligeantes, qui même le faisaient sourire, plutôt qu’au bourreau.

Mais au prononcé de cet arrêt Cléophon donna des signes de la plus vive émotion, puis d’une colère où il perdit toute mesure. Pour des motifs sur lesquels il convient de ne pas insister, tout ce qui suggérait à son imagination les réalités naturelles et normales de l’amour lui faisait horreur. Il les tenait pour dégoûtantes, abominables ; elles lui levaient le cœur ; et cependant il goûtait d’une façon désintéressée la beauté des femmes, presque, eût-on dit, comme s’il eût appartenu à leur sexe. D’ailleurs tout, dans cet attirail de répression, dans ces poursuites mêmes, lui apparaissait obscène et révoltant. De sa vie il n’avait pu concevoir qu’on empêchât les gens de faire ce qui leur convenait, quand cela ne faisait de mal à personne, et qu’on les châtiât pour l’avoir fait. Ainsi, pour d’autres causes que Pérégrinus, il n’avait pas davantage gardé l’équilibre de sa raison. De la manière la plus injurieuse il l’invectiva :

— As-tu perdu le sens ? Es-tu venu t’asseoir ivre au tribunal ? Tu es encore plus bête que je