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cantonnées dans la ville. Ce fut donc un détachement de Germains, mercenaires de l’Empire, qui le lendemain conduisit à l’Agora Onésime, Eutychia, Myrrhine et une cinquantaine d’autres chrétiens incarcérés préventivement. Théoctène, Céphisodore, Philomoros, Cléophon les suivaient, bien résolus à protester contre une erreur qu’ils savaient certaine, et dont ils ne doutaient point qu’elle ne fût reconnue sur l’heure. Même, désignant Myrrhine à la foule, ils essayèrent d’exciter à l’avance ses sympathies. « Elle n’est pas chrétienne ! Reconnaissez-la, c’est une des servantes d’Aphrodite ! » Mais les gens, d’ordinaire, haussaient les épaules. Certains même jetaient des pierres, visant plus particulièrement cette femme, par la seule raison qu’on la leur montrait ; car la longanimité du gouverneur, la veille, les avait déçus ; ils lui pardonnaient mal un spectacle dénué d’intérêt, dépourvu du ragoût du sang ; d’un commun accord, ils déclaraient les dieux trahis. Les personnes riches ou de famille aristocratique, même païennes, s’étaient pour la plupart enfermées chez elles. Partageant les doutes que Pérégrinus nourrissait sur l’avenir, elles ne se voulaient point compromettre. Pourtant quelques-uns se dirigeaient vers le tribunal, silencieusement ; Théoctène reconnut le juif Aristodème. L’air inquiet, il essayait au passage de distinguer les accusés. Il murmura :

— On dit qu’Agapios, — vous savez, ce cabaretier chez qui vous avez dîné l’autre jour — est arrêté : accaparement de vin et de froment soustraits à la consécration des flamines. Savez-vous ?…

— Non… qu’est-ce que cela vous fait ?

Aristodème, méfiant, s’éloigna sans répondre.

Théoctène s’efforçait de ne pas perdre de vue sa maîtresse. Parfois elle-même, à travers la file des légionnaires, essayait de l’apercevoir ; par-