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qu’à cette heure tout le monde y croit, et qu’il ne restera rien que cela, puisque le monde va finir !

Ces hommes se regardèrent. Elle venait d’exprimer naïvement la croyance commune. C’était vrai : le monde allait finir ! Tous en étaient persuadés ; le monde tel qu’ils le connaissaient, et sans doute, avec lui, l’univers même. La race humaine dégénérait depuis l’âge d’or. La décadence allait, se précipitant, depuis trois siècles. Les familles s’éteignaient sans postérité. Les Barbares étaient partout victorieux ; on ne pouvait plus se procurer de nouveaux captifs, puisque seules les victoires romaines ou hellènes en avaient su fournir. Et comment perpétuer, sans esclaves, une civilisation qu’on ne pouvait concevoir que fondée sur le travail servile ? Les beaux jours avaient fui à jamais. La vie, telle qu’on l’estimait digne d’être vécue, allait devenir impossible. Le monde finirait ! Le monde devait finir ! Comment donc ne pas songer à ce qui demeurerait seul après cet effondrement inévitable : l’autre vie, éternelle, mystérieuse, pleine de terreurs si l’on ne pouvait prendre de garanties contre ses menaces ; de délices si l’on parvenait à s’assurer le bonheur que pouvait promettre son infinie durée ? Ils frissonnèrent, épouvantés.

Cependant Théoctène entreprit de se défendre :

— Si tu as dit vrai, Philomoros, c’est moi qui ai raison. L’Empire n’a-t-il pas depuis longtemps agréé nos dieux ? Nous ne faisons rien, Myrrhine et moi, qu’il n’ait délibérément fait avant nous. Lui-même a senti que d’autres soucis chez les hommes ont produit d’autres croyances. Il est possible qu’elles ne vaillent point, pour lui, les anciennes ; mais enfin il s’en accommode, et