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On leur lança des pierres. L’équipe qui tenait la litière vacilla, un homme roula sur le sol, la litière bascula, s’abattit. Eutychia, épouvantée, meurtrie, se glissa hors des rideaux. En même temps les livres qu’elle avait dissimulés tombèrent sur les dalles. La canaille, d’abord, y fit peu attention :

— Des chrétiens ! Des chrétiens !

On assommait ses porteurs. Eutychia, qui s’était remise debout, leva les mains pour implorer, ou pour les défendre. C’était, par son costume, une domina, même une vierge.

Il y eut un recul, de l’hésitation. Mais Rhétikos, toujours à l’affût d’un butin, ramassa quelques-uns des livres.

— Donne ! lui dit Ordula, curieuse.

Elle déroula les volumes, y porta ses yeux, qui brillèrent, puis en cacha deux sous sa chemise de toile bleue, serrée à la taille d’une ceinture, rejetant les autres dans le tas, sur le pavé.

— Ce sont des livres chrétiens, ceux de leurs sorcelleries ! La femme est chrétienne !

On savait Ordula sorcière. Elle devait s’y connaître ! Et elle dénonçait une sorcellerie haïssable aux dieux. On se rapprocha de la jeune fille. Des mains noires laissèrent des traces sur sa tunique. Les stationnaires aussi avaient entendu. D’ailleurs, déplacer, dissimuler, « voler » des objets soumis au séquestre impérial était un crime — un crime qui, par lui-même, dénonçait la qualité de chrétienne, avec cette aggravation qu’il outrageait l’autorité, la majesté, la divinité de l’Empereur. Quand ils arrachèrent Eutychia aux poings qui la brutalisaient ce fut pour lui dire :

— Suis-nous.

Elle se nomma :

— Je suis Eutychia. Mon père est Eudémos,