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dans la litière. Eutychia, les couvrant de son corps, dirigea ses porteurs vers le palais.

Ceux-ci, comme elle, étaient chrétiens. Elle les avait affranchis devant l’assemblée des fidèles, en les conservant à son service. Le petit peuple de Corinthe ignorait ordinairement le nom, ou bien au contraire les traits, ne les connaissant que de réputation, des personnes de la société appartenant à la secte. Mais il savait distinguer au visage les chrétiens que leur situation rapprochait de lui, qui vivaient de son existence, fréquentaient les mêmes rues, les mêmes tavernes. Si peu de temps qu’Eutychia eût mis à son entretien, il avait suffi pour que l’agitation s’accrût. Les agents de Vélléius avaient travaillé ; on se disputait les copies du pamphlet de Pachybios ; déjà l’on venait de piller quelques maisons chrétiennes, on courait à d’autres saccages. La populace n’arrêtait point les chrétiens : c’était l’affaire de la police ; elle les insultait, les maltraitait ; alors les stationnaires, intervenant, mettaient la main sur les victimes de ces sévices, sous prétexte de rétablir l’ordre. Le mendiant Rhétikos, cagneux, boiteux, hideux, ses ulcères encore enflammés par la course, faisait partie de cette bande. Il cachait sur sa poitrine un poisson d’or, l’ichtys révéré des chrétiens, trouvé dans une des demeures envahies ; ses mains agrippaient des étoffes, des candélabres. Ordula le suivait, portant sur ses épaules un matelas de plumes. Dix-huit cents ans plus tard les chrétiens orthodoxes, issus des anciens Scythes, ne devaient pas tenir, à l’égard des juifs qui peuplaient leurs villes, une conduite fort différente. C’était un peuple animé contre les ennemis de l’Empire, brûlant de s’approprier leurs dépouilles.

Ils reconnurent les porteurs d’Eutychia :

— Des chrétiens ! Encore des chrétiens !