Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, comment veux-tu ?…

— Moi non plus !

Un tiers de la population de Corinthe était chrétienne. Théoctène, s’il ignorait qu’il eût des esclaves chrétiens, avait rencontré au tribunal, à l’agora, aux lectures que donnaient les sophistes, des hommes et des femmes dont on disait qu’ils fréquentaient les assemblées chrétiennes. Et pourtant, de ce que voulaient et de ce que faisaient les chrétiens, il n’avait que l’idée la plus vague. Ceux-ci avaient réalisé ce miracle étonnant et paradoxal, maintenant qu’il y songeait, de multiplier leurs adeptes à travers l’Empire entier, de convertir presque toute l’Asie à leurs doctrines, d’achever plus qu’à moitié la conquête de cette Hellénie, domaine des dieux qui présidèrent à la civilisation dont il jouissait, l’admirant d’autant plus qu’il la sentait menacée — et de rester en même temps une société secrète ! Une société secrète dont on ne savait pas ce qu’étaient ses mystères, puisque même les catéchumènes en étaient exclus, dont on ignorait les rites, les moyens d’action, les buts ! C’était peut-être, justement, parce que ces chrétiens étaient trop près de lui. On s’accoutume à ce qu’on a perpétuellement sous les yeux, on ne s’en occupe plus. Théoctène s’inquiétait parfois de savoir ce que pouvaient bien être ces Barbares, Hérules, Goths, Vandales, dont on parlait tant, et qu’il n’avait jamais vus. Mais décidément il ne savait pas ce qu’étaient les chrétiens, il ne s’était jamais soucié de le savoir. Cette pensée, maintenant, le stupéfiait.

Il constata qu’en somme la seule idée qu’il s’en fit était celle d’une secte se refusant à vivre, sans qu’on pût bien concevoir pourquoi, comme on avait toujours vécu depuis qu’il y avait des Grecs, et surtout un Empire de plus en plus dirigé par des Grecs, avec un gouvernement, une