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vaient lever… Ces bêtes marines étaient inertes ; l’esclave fit remarquer que leurs yeux étaient brûlés ; ils étaient comme bouillis déjà, et presque bons à manger.

Remontés dans leurs litières, ils prirent le chemin des carriers, qui de Cenchrées devait les ramener à Corinthe. Sous les pieds de leurs porteurs la terre frémissait, à peine moins inquiète que l’océan, troublée, jusque dans ses profondeurs, d’une mystérieuse agitation souterraine. Comme ils allaient dépasser les carrières, ce furent tout à coup, dans l’ombre épaisse des caroubiers dont les feuillages s’unissaient au-dessus de la route, des taches blanches qui hennissaient : les chevaux sacrés du Poséidon, le grand temple dédié à Neptune, à l’entrée de l’Isthme, que leurs prêtres avaient ordonné de conduire à Corinthe, car ils craignaient un tremblement de terre : eux-mêmes ne pénétraient plus dans la cella, où se dressait l’effigie colossale du dieu, de peur que celle-ci ne s’effondrât sur leurs têtes. Mais ces chevaux, ignorants des appréhensions humaines, essayaient d’atteindre, pour les brouter, les jeunes pousses qui croissaient sur les talus de la piste creuse ; ils résistaient à l’effort des valets du dieu tirant sur leur licol pour les faire avancer. Agrippés au sol de leurs quatre sabots non ferrés, peints d’un rouge vif, ils portaient au front une étoile d’or ; et, le regard de leurs larges orbites brillant également dans la nuit, comme Zeus ils avaient trois yeux ! La fraîcheur de l’air, l’odeur résineuse des caroubiers et des lentisques semblaient les griser ; ils s’ébrouaient en renâclant, faisant passer par leurs narines et leurs gencives un souffle sonore. C’étaient des bêtes splendides, presque indomptées, nées dans les haras du temple, et qui jamais n’avaient porté de cavaliers. Myrrhine, en passant, les admira. Mais les gens, autour d’elle, son-