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tie de la Germanie romanisée, la Dacie, les deux Mésies. On disait que Dioclétien songeait à abdiquer pour aller vivre, vieilli, malade, découragé, dans le palais qu’il venait de se faire construire sur les rives de la mer Illyrienne. On ne parlait presque plus de Rome, dont le Sénat, pourtant dès longtemps sans influence, et méprisé, portait encore ombrage aux Tétrarques ; Constance le Pâle, Maximien, Galère, qui se jalousaient, quand ils voulaient rencontrer Dioclétien-Jovien, chef de l’Empire et dieu vivant, l’allaient retrouver à Nicomédie, ou bien se retrouvaient à Milan — et les barbares, de nouveau, franchissaient les frontières rétrécies, à cette heure même où l’on voyait, dans le ciel et sur les flots, des signes effrayants.

— …Regarde, dit tout à coup Myrrhine, regarde ces barques qui sortent des moles de Cenchrées. Cent barques au moins, on ne saurait les compter. Et de tout petits canots, encore ! Il y en a, il y en a ! Tous avec des lanternes allumées, et des hommes qui se penchent. Il en est qui font le geste de lancer comme des harpons ; mais on ne voit pas les harpons : ils sont trop loin, et la nuit est trop noire. D’autres qui jettent dans la mer des filets, et qui les retirent, sans doute. Que font-ils donc, Théoctène ?

Théoctène n’en savait rien. Un des Cappadociens, dont la vue était perçante, répondit :

— Ils ramènent les poissons ! les milliers de poissons qu’il a tués, ce grand feu qui sort de l’eau !

Myrrhine battit des mains. Elle voulut que cet homme descendît jusque sur le môle, pour en acheter aux pêcheurs. Il revint avec des dorades dans un couffin de joncs, et un congre, une couleuvre de mer aussi grande que lui, suspendu à son cou. Il dit qu’il y avait aussi des thons énormes, si lourds que deux hommes ne les pou-