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La Montée du Mont-Carmel.

voit, qu’elle entend, qu’elle flaire, qu’elle goûte et qu’elle touche par le ministère des sens, néanmoins si elle n’use pas de leurs opérations, elle n’en est non plus touchée que si elle ne connaissait aucun objet par la vue ou par l’ouïe, ou par quelque autre sens extérieur ; et il lui arriverait la même chose qu’à celui qui fermerait les yeux au soleil, et qui demeurerait dans l’obscurité, comme s’il était aveugle.

C’est ce que le prophète-roi semble signifier quand il dit qu’il est pauvre, et qu’il est dans les travaux dès sa jeunesse.[1] Car quoiqu’il possédât de grandes richesses, il ne s’y attachait nullement, et de cette sorte il était véritablement pauvre. Au contraire, s’il eût été privé des biens temporels, et qu’il les eût désirés de tout son cœur, on n’eût pu lui attribuer la vertu de pauvreté, puisque son ame, suivant le penchant de sa passion, eût été abondante en toutes choses.

Pour ces raisons, nous disons que la pauvreté de l’ame est une nuit obscure. Nous ne parlons pas du manquement réel des créatures, puisque ce manquement n’en dépouille pas l’ame lorsqu’elle les recherche ; mais nous parlons de la pauvreté d’esprit, je veux dire la privation du plaisir que les choses passagères nous donnent ; parce que cette privation établit l’ame dans un parfait vide et dans une parfaite liberté ;

  1. Pauper sum ego, et in laboribus à juventute meà. Psal. 87, 16.