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dit ; sois prudent... pour la persistance même de ton amour, laisse cette femme à son mari, ne l’enlève pas, ne reste que son amant !... »

— De quoi se mêlait-elle, celle-là !

— Attendez... « Car, a-t-elle ajouté, la séparation, la difficulté des rencontres, l’ignorance l’un de l’autre, les illusions, sont les vents qui attisent l’amour !... tandis que l’éternel contact, la possession sans réserve et, plus encore, la pénétration réciproque du caractère et de l’âme sont des cendres qui étouffent la flamme sacrée !... »

— Et vous allez écouter cette stupide prophétie ?

— Nous allons y réfléchir, du moins.

Elle me quitta en pleurant. Mais je n’eus aucun remords. Je savais bien qu’au premier tournant de la rue elle s’arrêterait pour tirer de son sac un petit miroir, de la poudre de riz, du rouge, et réparer, sur son visage, l’outrage de sa douleur, devant moi irréparable...

Et nous continuerions, comme par le passé, à grandir notre rêve d’une salutaire duperie !...

En cette fantastique aventure, j’avais connu la femme... mais j’avais connu les hommes aussi !... Ah ! ce n’était guère plus brillant ! et je ne devais pas me vanter d’appartenir à leur gent. Tous, tous, des compagnons de saint Antoine !...

Et moi-même ?... un égoïste au moins, un féroce égoïste : à en juger à la façon dont je me désintéressais du sort de ma co-métamorphosée, Robert. Avait-elle repris du service dans un bar ? Avait-elle « recollé » avec Julot ? S’était-elle réfugiée, vierge à nouveau, dans le sein de sa famille ?... je m’en contrefichais éperdument !

Et ça, c’est bien d’un homme.

André Couvreur.