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treignit, s’empara de ma volonté comme l'aimant du fer ; et je dus, sans résistance possible, à la stupéfaction de Rolande, m’arracher à son étreinte, quitter le lit, me rhabiller et aller vers la porte. Je savais qu’il y avait derrière cette porte un homme effroyable, dont la longue barbe serait à ce moment phosphorescente, et que, phalène hypnotisée par cette lueur verte, j’allais, invinciblement la suivre.

— En route !... dit Tornada, en boutonnant haut son ample manteau, pour dissimuler sa toison lumineuse.

Nous traversâmes le couloir. Les battants de la porte se refermèrent sur nous. Dans la rue soufflait une puissante torpédo. Robert en occupait déjà un coin.

— Faites attention... n’allez pas près de lui... venez sur le devant, avec moi... il doit avoir des puces !... Savez-vous où je l’ai cueilli, ce saligaud-là ? Dans le lit de la bonne !

Il se matelassa de couvertures, saisit le volant, enleva son engin. Ah ! cette randonnée dans la nuit ! Nous faisions peut-être du cent cinquante à l’heure ; les phares engloutissaient te paysage, nous respirions un cyclone !... Où nous emmenait-il ? vers Paris ; mais pourquoi ?... Je ne réfléchissais d’ailleurs pas. Il le fallait.

À un moment, il freina si brutalement que nous faillîmes capoter. Il sembla vouloir m’expliquer quelque chose. Mais il repartit aussitôt, et ne parla dès lors plus que pour lui seul, par lambeaux de phrases qu’il jetait au vent.

— Imbéciles !... la tradition !... les mœurs !... et ce procureur !... cette police stupide !.- Ah ! la Sûreté !... Pourtant, moi, je refaisais le monde !... le sexe au choix, c’était le bonheur universel !... dix couples déjà !... vingt trans-sexués !... tous réussis ! ... parfaits !... Auraient pu attendre neuf mois ?... au moins, on aurait vu !... Mais qui donc