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gue continence, bouleversés encore par la tendresse de notre réconciliation, m’eussent peut-être mené à d’inaboutissables errements, et je ne sais quel pressentiment me conseillait la prudence.

À dix heures, celui des tenanciers qui était manchot vint, de son bras restant, m’apporter un lumignon. C’était nous intimer la retraite. M. Variland protesta ; il eût volontiers fait quelques pas — évidemment pour m’attirer dans une conversation relative à ses intentions sur moi, à son divorce avec Rolande… mais on allait fermer boutique, les rouliers dormaient déjà, tout le monde avait besoin de repos. Et puis, à notre époque, la morgue d’un haut financier ne tient pas devant le vouloir d’un patron mutilé. Il embrassa du bout des lèvres le front de Rolande ; il me baisa passionnément la main et nous nous séparâmes. Robert s’était éclipsé, et j’avais déjà pris mon parti d’un sacrifice charnel, dont l’origine m’était maintenant bien définie.

Un escalier grinçant nous mena, Rolande et moi, à une chambre proprette, donnant sur la rue. Les mutilés y avaient fait des frais pour des clients de notre importance. Le lit étroit était paré de draps blancs, sentant la lavande ; on avait déroulé un tapis de faux Orient ; la toilette était abondamment pourvue d’eau ; il y avait même, derrière un paravent de peluche bleue, un meuble discret qui, taillé par le menuisier du pays, ressemblait étonnamment au cheval de Troie. Du vrai confort moderne, enfin.

Tout en se déshabillant, Rolande, égayée par cette aventure, s’extasiait :

— Non ! ce que c’est chic ici !… contemple-moi ça, ma chère : une couronne de mariée sous globe ! une panoplie avec un casque de tranchée et des obus en carton !… et le portrait de M. Grévy !… ah ! non, pas de ça… retourne-moi Grévy !… je ne veux pas qu’il assiste à mon sommeil…