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qui s’était accompli en moi avait fait son œuvre en lui. Il s’expliquait soudainement, brutalement, tout un ensemble de problèmes qui avaient hanté son fruste cerveau depuis son opération, qu’il n’avait pas plus que moi résolus jusqu’alors, mais qui, se cristallisant sous mes questions, prenaient en cette minute précise, forme de certitude.

— Ah ! nom d’un chien !... exclama-t-il, en me parcourant des pieds à la tête, mais avec une insistance avide sur la région dont il se savait dépossédé.

Il reprit, balbutiant :

— Alors, le truc de Tornada... ce serait avec vous ?... et vous ?... et moi ?... nous deux !... Ah ! non, ça, c’est plus fort que de jouer au bouchon !

— Racontez !... racontez donc !... ordonnai-je, dans une frénésie de tout apprendre.

— Eh bien voilà... fit-il, en se calmant Je me nomme Robertine Lieuplane, Je suis la fille d’un négociant en vins, de Nevers, dans la Nièvre. Je ne peux pas me plaindre : mes parents étaient bons avec moi, je n’étais pas malheureuse. Mais que voulez-vous, on a son tempérament... à vingt ans, pas ? le cœur vous remue... c’est difficile de résister... et quand Jules m’a couru après... il était si beau, mon Julot !... des yeux fendus, à la chinoise. .. un bouc blond... gentil ! gentil !... mais en tout bien, tout honneur, vous savez ?... m’aurait pas touchée... j’étais sage, j’allais à confesse... mais je l’aimais !... Alors, comme mes parents voulaient pas de Jules, rapport à sa position... il était boucher... tant pis ! j’ai quitté ma famille, pour venir me placer à Paris, en attendant mon mariage...

— Continuez !... continuez !... insistai-je, en voyant qu’il s’accrochait à ses souvenirs.

— Les vins c’était ma partie ; je me suis donc engagée dans un bar... C’est pas rigolo, vous savez, servir dans un bar.., faut être à la coule avec