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avec dépit, pour la ramener aussitôt contre moi et chercher son baiser. Elle ne comprenait pas, elle me l’abandonnait innocemment... et je devais m’enfuir, chercher la douche aux fréquentations d’en bas.

Hélas ! dans un autre domaine encore elle me déconcerta. Je l’avais crue jusqu’à présent totalement désintéressée ; elle avait semblé consentir à me suivre sans se soucier de son sort matériel ; elle devait s’en remettre à l’argent que m’assurait mon talent ; et même, elle protestait dignement à chaque cadeau insignifiant que je lui offrais, ne les acceptant qu’après beaucoup d’insistance de ma part. Oui, elle m’apparaissait, sur cette face de son caractère, parfaitement indépendante et noble... Eh bien, un matin que nous causions des gains fantastiques de son mari, sa face s’emplit soudainement de gravité :

— Et Georges ?... questionna-t-elle, sais-tu quel est son chiffre, par an ?

— Je l’ignore, ma chérie. Cela doit varier.

— Combien crois-tu qu’il pourra me donner pour ma toilette ?

— Je ne sais...

— Au moins vingt mille, j’espère... On ne s’en tire pas à moins... Ce sont des questions, tu comprends, qu’on ne soulève pas... mais il aurait dû y réfléchir... ainsi qu’à une assurance pour mes vieux jours...

— Et s’il n’était pas en mesure... s’il perdait le bras droit, par exemple, que ferais-tu ?... tu le suivrais quand même ?

— C’est vrai.., je n’y avais pas pensé... Bast ! il se servirait du bras gauche.

— Et s’il perdait les deux ?

— Ah ! alors...

Les protestations spontanées que j’attendais ne vinrent pas. Elle réfléchissait... Ah ! Rolande !... Rolande, vénale, comme les autres ?...