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si nous n’eussions qu’un seul cerveau. Elle étalait des curiosités que je n’aurais pas tolérées jadis. Une nouvelle lettre que je lui écrivis des Indes, où j’avais intentionnellement évoqué nos plaisirs d’amour, devint encore le prétexte à des aveux plus audacieux. À chaque phrase suggestive, elle m’attirait à son cou et chuchotait :

— Figure-toi, ma chérie…

Jusqu’à présent, j’étais le seul objet de ses secrets. Mais, un matin, elle me raconta son mari, dans un dégoût. Et le lendemain, elle parla d’un troisième, puis d’un quatrième, qui l’avaient consolée avant moi. En vain j’insistai pour savoir qui. Peine inutile : elle ne voulut pas démordre d’une discrétion que je ne pouvais approuver, l’ayant déjà interrogée sur ce sujet. Chaque fois elle m’avait répondu avec une assurance blessée que j’étais son premier amant… Ô la clarté de son fier regard, la candeur à son front, quand elle m’affirmait cela !… Je l’avais bénie !… Maintenant je l’eusse étranglée. Heureusement, je sus me répéter qu’on n’est pas maître d’un passé…

Mais toutes ces souvenances, tous ces tableaux, portaient forcément sur ma nature rappelée à l’instinct créateur. Je ne l’approchais plus, je ne la touchais plus avec cette même sérénité de ma période impubère et de ma première puberté. Quand elle procédait devant moi à sa toilette ; quand elle me demandait de lui prêter aide dans son habillement, et qu’alors s’étalait sans contrainte sa chair divine et que je respirais son arôme blond, alors une griserie m’envahissait, une envie folle de saisir cette pulpe saine comme un fruit des champs, d’y mordre, de la meurtrir, de m’en repaître. Plus encore, quand elle me donnait de blanches caresses, des baisers à transmettre à mon frère lointain, je lui eusse crié : « Mais tu ne sens donc pas qu’il est devant toi ! que Georges c’est moi !… » et je la repoussais