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de moi et me prit aux épaules. Je me laissai faire.

— Vous ne pouvez pas l’aimer !... cria-t-il. Il est indigne de vous !... Ce qu’il vous faut, à vous, c’est un compagnon qui vous comprenne, qui partage vos goûts, qui soit capable de vous servir dans le développement de votre talent... un cerveau, enfin, à quelque branche de l’essor intellectuel qu’il appartienne...

Et, après un petit silence, il ajouta sans vergogne :

— Un homme comme moi...

— Vous n’êtes pas libre !

— On peut... on peut se rendre libre !... Voyons, mon enfant... il est dans mes habitudes de parler net... et de ne pas laisser traîner même une question sentimentale... Vous avez dû vous apercevoir, dites, de l’effet que vous me produisiez ?... c’est donc que Rolande m’est devenue totalement indifférente. .. Alors... si Rolande se tire d’affaire... que penseriez-vous d’un divorce, pour vous consacrer ma vie ensuite ?... M’y encourageriez-vous ?

— Pauvre Rolande !... soupirai-je.

Il prit cette plainte pour une formule de promesse et se retira, enfiévré d’espoir, en me demandant de réfléchir.

Je ne m’attendais pas à ce qu’il en arrivât tout de suite à cette extrémité. Mon esprit s’y égarait. Dire que je venais de recevoir en quelque sorte une demande en mariage d’un homme dont je voulais enlever la femme quelques mois auparavant et que cet homme escomptait peut-être la mort de sa femme !... C’était fou, hilarant !... tragique ! ... c’était à me faire regretter les scrupules qui nous avaient si longtemps retardés, Rolande et moi, dans le parti de la fuite, pour éviter de peiner le mari. Moins d’hésitation m’eût épargné l’attentat de Tornada. Nous serions maintenant libres et différents de sexe, aux rives de quelque riant lac italien...