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femme devant la femme que j’aimais ! Mais je ne voyais donc plus mon bonheur ! Le bonheur qui est de ne pas désirer pour repousser ensuite, de s’abandonner au farniente des sens, de planer dans les limbes de l’amour... que dis-je, dans les limbes : dans le paradis de l’amour, en prosternation devant cette trinité : Pureté, Virginité, Idéal !

Mais allez donc dominer les élans d’une nouvelle puberté !... Quand, ce même jour, après une promenade à cheval, où Rolande se révéla une écuyère que j’ignorais encore, elle se prépara à se baigner en ma compagnie, je dus feindre un malaise subit pour m’épargner de la voir se dévêtir. Je quittai brusquement le kiosque où elle glissait son costume de bain, et j’attendis qu’elle fût dans l’eau pour me débarrasser à mon tour de mon amazone et la suivre au milieu de l’onde. Cette fraîcheur me fut un bienfait, calma mon impossible désir. Je nageai tant que je ne la vis pas réapparaître, rhabillée, sur le bord. Du reste, nos femmes de chambre étaient survenues, qui allaient encore me modérer. Elle me tendit la main pour sortir de l’eau et, m’enveloppant d’un peignoir :

— Tu es une adorable naïade !

— Vous en êtes une autre, mademoiselle !

— Oui, mais... tu possèdes quelque chose que je n’ai pas, et qui te va à merveille !

— C’est ?...

— Ta poitrine... Le maillot la révèle mieux encore. .. Tu rendrais des points à la Vénus de Milo... et figure-toi...

Elle se pencha à mon oreille et, disposant ses deux mains comme un cornet acoustique pour que sa confidence ne s’égarât pas.

— Figure-toi que Georges avait aussi de la poitrine. Combien de fois ne lui ai-je pas dit qu’il Ferait une très jolie femme !

Elle ne m’avait jamais rien dit de semblable. Rétrospectivement cela me flatta quand même.