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sinon à mon inconduite — que ma situation de fortune, mon succès au Salon, mes fiançailles maintenant officielles, rendaient encore inadmissible — du moins, à une coquetterie voulue et déplacée de ma part. Je dois avouer que leur opinion n’était pas sans fondements, car il m’amusait de répondre parfois aux longs regards de M. Variland par un sourire, et de constater avec quelle facilité les hommes s’emparent de ces menus témoignages de simple familiarité sociale pour y appuyer leur rêve et rebondir dans le désir. Je devinais donc, à la réserve des Chabrol, à la pitié de Mlle Blanche Férette, la jeune universitaire, à l’intérêt excessif de la baronne Nirvâne des Illeuls, et à l’insolence du compositeur Rimeral, que mon procès s’organisait dans leur esprit et qu’ils me condamnaient de troubler le foyer de leurs hôtes. Jusqu’aux domestiques, cette opinion acquérait du crédit. Tout particulièrement, Louis, le valet de chambre, me traitait avec cette considération protectrice qu’on a pour l’étrangère qui peut-être, un jour ou l’autre, par la vertu du divorce, deviendra votre maîtresse. Il avait pour moi du mépris dissimulé derrière des prévenances. Quand il me servait à table, il m’indiquait le morceau qu’il fallait prendre ; mais il haussait les épaules en remportant le plat ; et, un jour qu’il m’avait été envoyé par Rolande, il avait dit à Anna, ma soubrette, qui me l’avait répété, que son « singe » était amoureux de mademoiselle ; et que madame ferait bien d’y faire attention, car au train dont ça chauffait, mademoiselle et monsieur ne tarderaient pas à « marcher » ensemble. Nous en avions bien ri ; mais à ma gaieté se mêlait un arrière-goût de vexation.

Généralement, on plaignait le fiancé innocent et l’épouse délaissée. Ceux-ci étaient les seuls à ne pas avoir interprété de cette façon le nouveau style de M. Variland. Robert était du reste trop