— Il ne vous a rien dit ?
— Qui cela, il ?
— Eh bien, notre ami, le professeur Tornada.
— Rien... rien... balbutiai-je...
— Eh bien, c’est qu’il aura oublié de vous en parler. Il est si occupé, cet homme... Je vais donc vous apprendre ce qui m’amène : c’est pour vous faire un brin de cour et voir si cela peut coller, entre nous. Je voulais justement me marier ; il m’a dit que vous aussi ; alors je viens me mettre à votre disposition. Sûrement, le tort qu’il a eu, c’est d’annoncer nos fiançailles avant que nous sachions si ça peut coller. Il ne faut jamais marier les gens sans savoir si ça collera. Mais puisque c’est fait, c’est fait ; et en route pour le conjungo, puisque votre frère ne dit pas non.
J’en suffoquais ! Plus encore que le despotisme de Tornada, la vulgarité de cet homme, ces propos où il n’était question que de savoir « si ça pouvait coller » ou non, sa façon de parapher son langage de gestes inutiles et communs, me choquaient à l’extrême. J’y dégageais un manque d'éducation, de savoir vivre que j’avais toujours méprisé chez les autres et qui, particulièrement chez celui-ci, déconcertait mon penchant pour la distinction. Et pourtant, il portait la particule, il était même titré ! Il est vrai, atténuai-je presque aussitôt, que certaine noblesse se plaît aux fréquentations de l’écurie par amour du cheval, et que naturellement le langage crottin ne peut que s’en suivre...
Ainsi donc, voilà l’homme qui m’était destiné !... Je ne savais rien de lui, ni de sa famille, ni de ses mœurs, ni de son sang, et la puissance arbitraire de mon falsificateur me l’imposait par une mainmise sur l’opinion consécutivement à celle sur ma chair ! Quoi ! je deviendrais donc Mme de Lieuplane, je partagerais la couche de ce grossier individu, j’en aurais peut-être des enfants !