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ASIE

que je dise un mot, sans aussi que ma compagne numéro trois m’eut fait entendre une parole d’espoir, je me trouvai seul encore dans la pièce aux Épreuves. J’étais moulu, abruti et nanti d’une douleur aiguë dans la moelle épinière. Je me sentais vidé à la fois de toute volonté et de tout désir, même celui de vivre.

Et Nesser Bey vint encore une fois, avec un masque horriblement triste.

— Mon pauvre ami, dit-il, avec une familiarité dont je sentis le danger. Cette fois, tu es perdu !

Je fis avec noblesse un signe d’indifférence.

— Comment as-tu pu suivre si mal mes conseils ?

Je ne répondis pas plus.

— Enfin, je te l’avais dit, voyons, souviens-toi.

— Hé, oui repartis-je avec humeur. Je me souviens. Mais à ma place aurais-tu fait mieux ?

— Je crois, je crois. Tu n’as pas su comprendre ce que voulaient ces deux femmes.

— Ni de deux, ni de trois, criais-je furieusement. Mais donne-moi un peu de poison pour en finir tôt et qu’on n’empale qu’un cadavre. Je te signerai en échange un papier qui te mettra à l’abri lorsque les soldats de mon pays viendront brûler ce repaire de brigands.

Il articula doucement :

— J’ai du poison, certainement, et je pensais que tu me le demanderais. Je l’ai sur moi. Mais ton sort est encore bien plus triste que tu ne crois.

— Qu’y a-t-il encore ? grondai-je.

— Le supplice auquel tu vas être soumis est de ceux qui me défendent de te donner le poison.

— Ah çà ! dis-je enfin furieux, qu’ont-ils encore manigancé. Je t’avertis que je vais tout bonnement me défendre contre les gardes, de sorte qu’ils me tueront ici. J’ai les mains libres et on ne disposera pas de moi.

Le « greffier » haussa les épaules.

— Tu es fou, je crois. Cela ne t’empêchera pas de