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ASIE

moqueries devinées maintenant, je me serais dominé plus facilement, mais la colère flambait d’autant plus fort en moi que la sexualité y était devenue plus impuissante. Aussi, imprudemment, je repartis :

— Crois-tu que les hommes de mon pays craignent la mort ?

Elle articula :

— Non, je le sais. Mais qu’importe. La vie est ton seul bien. Pourquoi, comme un enfant en colère, parais-tu vouloir le gaspiller.

Elle leva une main en l’air. Une main longue fine et rosée.

— Écoute, je ne veux pas te contraindre à m’entendre, si tu préfères mourir. Dis un seul mot, n’importe lequel et je me retire. Alors on viendra te chercher, le pal est prêt.

Elle me regardait âprement avec des iris flambants et je me tus.

Je la vis approuver mon silence d’un geste de la tête. Ensuite elle dit :

— Déshabille-moi !

Je m’avançai vers elle avec un frisson glacé au bout des doigts. Je me sentais semblable à l’homme jeté du haut de la tour et qui tournoie huit à dix secondes, un temps infini, durant lequel l’esprit peut pourtant évoquer toute une vision et faire encore une fois goûter les malheurs passés dont on souffrit.

Des épingles tournant sur un cercle ouvert d’un seul côté tenaient ensemble une multitude de plis où les soies et les tissus à mailles larges se mélangeaient curieusement. Je me contraignis à défaire tout cela avec soin. Bientôt je fus maître d’une sorte d’écharpe bleue, puis d’une autre rose, puis d’une troisième jaune. Je les posai près de moi. Il y en avait toujours. Je continuai cette besogne d’habilleuse de grand magasin, sans dire un mot. Enfin, je fus près d’une chemise et d’un pantalon semblables à ceux de la première femme vue. Autour du col la chemise portait une broderie rouge de toute beauté.