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ASIE

naître que tu es courageux, puisque la mort s’apprête. Mais aussi tu es peut-être un peu grossier.

Je commence à comprendre :

— Je me trouvais indigne de vous.

Elle rit et m’interrompt :

— Non. Tu mens ! Tu es lassé, car tu as cru séduire Fergiana, la rousse, en accomplissant de nombreuses amours, sans deviner qu’elle n’avait d’autre but que de se divertir une nuit.

Résigné et désireux de finir avec dignité, je repartis :

— Toi aussi !

Elle est encore emmaillotée dans ses mousselines innombrables et elle a gardé son voile de bouche. Je ne puis deviner ce qui se passe dans le crâne de cette femme lourdement engoncée parmi tant d’étoffes colorées. Les mains sont cachées aussi et je ne vois que le front haut et lisse, avec les deux yeux bruns qui me fixent sans ciller.

Elle parle à nouveau :

— Moi aussi, peut-être. Mais tu n’as pas le loisir d’être insolent. Ne le comprends-tu pas ?

Je croise froidement les bras. Cette nouvelle postulante m’agace et je me sens des envies de l’envoyer paître. Enfin, je me domine et dis ironiquement.

— Es-tu venue pour me faire des discours ou pour savoir ce que je sais faire comme amoureux et éventuellement comme mari ?

— Je suis venue en maîtresse de ton destin. Tu as tort de t’exprimer avec cette colère trop chaude de tes pareils. Il faut calculer, il faut réfléchir. Ce qui paraît mauvais tourne parfois en bien, et ce qu’on croyait bien devient le pire. Crois-moi, il faut savoir mesurer ses mots et méditer ses idées. Ne dis rien qui puisse te nuire. Tu as encore une heure pour gagner ta vie.

Elle s’exprime avec une étrange majesté. Si, en ce moment-là, je n’avais pas été furieux de toute ma vigueur gaspillée avec la petite rousse, et de ses