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ASIE

évidence parfaite. J’avais commis une erreur curieuse dans mes ébats avec cette enfant trop instruite de ses devoirs amoureux.

Ce qu’elle m’avait dit était vrai, pour elle et peut-être pour l’autre qui l’avait précédée. Il m’eût fallu sans nul doute recevoir ces femmes comme un émir, couché nu sur les peaux du lit, et les laisser chercher ou prendre l’amour avec moi selon leur gré sans agir… J’aurais pu alors deviner ce qui leur était à cœur et les mieux servir. À y penser exactement, cette dernière adolescente rousse s’était prêtée à tout, mais sans goût. Je prenais pour une marque de joie ce rire nerveux qui ne l’avait pas quittée, mais l’erreur était là, complète. D’autres signes m’avaient trompé encore farce que, surtout, elle était instruite à feindre la joie.

Petite coquine, elle m’avait réduit à l’état de loque et mon dernier espoir paraissait compromis par l’hébétude et la fatigue. Je devais me considérer comme agonisant.

Encore une fois Nesser Bey apparut. Il faisait une figure triste et lamentable.

— Tu es mort ! confia-t-il aussitôt.

Je voulus crâner :

— Pas encore ! répondis-je.

— Celle qui vient de sortir a dit de toi ceci :

« Il ne sait rien. Il doit prendre l’amour pour un travail de portefaix. Je ne voudrais pas d’un mari semblable pour l’Empire des Russes. »

Je repartis vexé :

— Je lui ai pourtant enseigné les plaisirs les plus délicats de nos pays d’Occident.

L’autre haussa les épaules.

— Tu ne peux rien leur apprendre. Chez toi, ce qui paraît délicat, précieux et rare, est ici chose commune et banale. Il te fallait agir avec prudence et sans fatigue, au besoin même te conduire avec elles comme un époux déjà et te refuser…

Il leva un doigt attristé.