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ASIE

que m’avait apporté cette conversation étrange et menaçante, je croyais avoir fait vibrer en ce joli corps roux et blanc des fibres assez muettes jusqu’ici pour qu’on s’en souvînt et qu’on m’en fût reconnaissant. Mes forces s’épuisaient. Je le sentais et pris les dernières pastilles excitantes, puis je tentai de fournir à « ma femme » — vrai, je tenais pour assuré désormais qu’elle ne m’abandonnerait pas au pal — les derniers frissons et les plus aigus.

Soudain elle se releva, puis, pudique, se vêtit avec soin, sans paraître tirer aucun souci de ma présence. Ensuite elle me dit avec dureté.

— Je ne t’aime pas !

Mon sang connut un brusque ralentissement et je dus blêmir, mais je ne laissai rien manifester de ma pensée.

Elle s’attendait à une réponse. Ma froideur la déconcerta. Alors elle ajouta.

— Tu ne sais pas aimer. Tu seras empalé dans deux heures.

Elle continua, après un silence.

— Si tu m’avais demandé de t’aimer comme je voudrais, j’aurais compris que tu me trouvais belle. Celui qui travaille comme un maçon ne peut pas en ce moment-là apprécier une belle chose. Tu ne pensais pas à moi mais à la mort, que tu voulais éviter en me caressant. Tu as cru, fou, que tu me révélais ces choses lassantes et compliquées. Non ! Et qu’importe ? Il n’y a qu’une façon de prouver à une femme qu’on l’aime pour elle-même et non pour soi, c’est de la laisser vous aimer, et de s’offrir, non de la prendre. Tu mourras dans un instant.

La porte s’ouvrait. J’entendis sortir la même formule que tout à l’heure.

— Allah est Grand !

Ma compagne se précipita de l’autre côté, vers l’huis qui l’avait apportée et disparut.

Je me sentais le corps bien fatigué et l’âme étrangement atone. J’étais perdu, cela s’attestait avec une