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ASIE

tresse qui m’est offerte. Avec cela elle est mutine, agile, familière et nerveuse. Je suis assuré que nous allons nous entendre. Je pose mes paumes sur son joli corps frémissant. Aussitôt elle pâme et tombe sur le lit avec un rire grelottant qui me ravit.

Cette fois je vais l’aimer.

Vraiment j’oubliai, et sans doute était-ce la bonne attitude, que la plus redoutable des menaces restait suspendue sur mon front. Je me trouvais en présence d’une femme d’Asie sensible à tout ce qui émeut une amante d’Occident. Je n’avais qu’à laisser opérer ma maîtrise, sans réfléchir et sans calculer. En somme, je devais, pour agir sans arrière-pensée, me croire avec la troisième candidate et admettre que le refus de cette femme à pelage enflammé signifiât pour moi la mort.

Avec une telle conception de l’avenir on ne flanche pas à l’ouvrage. En certains cas, des amies de France ont bien voulu avouer que je ne suis pas un amant médiocre. Mais qu’eussent-elles dit à me voir parmi le décor de cette chambre d’Épreuve dans le palais de Seïd Mhamed Rahim ?…

Je fus étourdissant et passai en revue tout l’art d’aimer.

J’invoquais l’ombre de Jacques Casanova de Seingalt afin qu’elle me protégeât. Quiconque eût fait le répertoire de mes exploits n’aurait plus eu aucun besoin de lire le de figuris Veneris, de Charles-Frederic Forberg[ws 1], non plus que tous ouvrages similaires. De temps à autres je me levais pour aller, par peur de fléchir, absorber une des boules aphrodisiaques que m’avait remises mon protecteur, secrétaire, peut-être, d’État, du fâcheux émir, plutôt que « greffier », ou les deux… Quant à ma « complice », elle était ravie et riait sans répit. Elle se prêtait d’ailleurs à tous mes caprices avec un bon vouloir exquis et j’en profitais. Vraiment je l’aimai un moment pour cette gaieté délicate, pour cette incandescence

et pour tout ce qui, en elle, flattait mon esthétique,

  1. note de Wikisource, cf. De Figuris veneris ou les Multiples visages de l’amour.