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ASIE

ralement pénibles et réclamant une attention usinière. »

Mais je garde, bien entendu, mes réflexions pour moi et viens m’asseoir à ses pieds.

— Laisse-moi t’embrasser, mon adorée ?

Elle affirme avec une tranquillité absolument dépourvue de passion :

— Je suis venue pour cela.

Ce mot fait comme si je recevais brusquement une belle claque, juste lorsque je me promène — les reverrais-je jamais — sur les boulevards à Paris. Les femmes asiatiques, par chance, ne savent pas dissimuler. Celle-ci est si certaine d’apparaître un chef-d’œuvre que mes compliments ne l’émeuvent aucunement. Mais elle est venue pour savoir ce que je saurais faire, en tant qu’amoureux soupçonné de connaître des finesses inconnues de l’Orient.

Je pense en une demi-seconde.

Il faut satisfaire cette amoureuse.

Mais je vais le faire sans espoir et en réservant mes forces. En tout cas, ça ne s’annonce pas très bien.

Il est vrai que souvent lorsqu’on se craint le plus mal parti, on se voit justement en bonne route. La vie est à la fois pleine de mécomptes et de succès, tous inattendus.

Peut-être, en ce moment, où je crois cette conquête perdue, la tiens-je aussi nettement que le pêcheur possède le poisson harponné qui tente encore de fuir.

Je m’efforce donc de donner du plaisir à ce corps robuste et plein qui attend sa joie avec une tranquillité redoutable. D’abord, je pense tenir révélation du fait psychologique dominant. Cette femme serait venue chercher sa joie avec un condamné à mort parce que ce lui est une occasion facile et sans danger de toucher un autre homme que l’émir. Mais elle ne m’aimera jamais et elle me tient pour une sorte de serviteur, rien de plus.

Je joue d’abord, néanmoins, sur les nerfs de cette magnifique blonde avec ma virtuosité parisienne.