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ASIE

— Tu n’es pas infirme, je vois.

Elle a mis une intention que je comprends dans sa réflexion. Cette fois, voici la femme des traités d’érotologie arabe et persane. Je sais ce qu’elle veut dire. Et, de fait, je ne suis pas infirme, mais trois minutes plus tôt je l’eusse été. Et si j’avais eu l’idée de me dénuder en même temps qu’elle je lui aurais semblé fort méprisable…

À quoi tiennent les contingences. Je sens à chaque minute que je frôle de nouveaux dangers et que je marche en équilibre sur une lame de rasoir…

Je sais que la femme arabe n’aime pas la nudité. Du moins cela est article de foi dans les travaux sincères et intimes ou confidences de voyageurs. Mais celle-ci a du sang européen, m’a-t-on dit. Sans doute, le lui rappeler est-il un moyen de la flatter.

Je murmure :

— Tu es plus belle que les femmes de mon pays.

Le piège mord.

— Je suis presque de ton pays. Il y a trois générations, mon aïeul était un Français qui vint se fixer ici et se convertit. Il épousa une fille d’émir et je lui ressemble.

Je l’étreins.

— Ne reste pas debout ainsi. Je veux te voir étendue sur le lit.

Elle s’étend docilement. Je la contemple une minute :

— Quand on te voit, on ne désire plus même t’aimer, on ne voudrait qu’être toi et se confondre avec toi. Mais on ose à peine te toucher.

Elle répond sereinement :

— Je le sais…

Je pense.

« Qui donc te l’a dit, gothon vaniteuse ? Femme d’émir, tu le vois une fois par an. Tu ne l’as jamais entendu te louer comme je fais, vu que son seul désir est alors d’exiger de toi des travaux amoureux géné-